A 4 ans, son père lui demande ce qu’il veut faire plus tard. Jacques Genin lui répond : « Danseur ou faire du théâtre ». Le paternel n’apprécie pas : « Il n’y aura pas de pédé à la maison. » Deux ans plus tard, même scénario. Cette fois Genin explique qu’il veut devenir chercheur... « pour m’inventer d’autres parents ». Il prend une raclée. La guerre est déclarée. Entre lui et son père, rien n’ira jamais plus. « Aujourd’hui, on remplit des cabinets de psy, parce que les gens se taisent. Mois, je dis », explique-t-il face à un Saint-Pierre chez Elmer, sa cantine de la rue Notre Dame de Nazareth, à deux pas de la place de la République. Il y vient en voisin. En veste blanche - son bleu de travail - sur laquelle il a fait broder « Fondeur en chocolat ». C’est comme ça qu’il se positionne officiellement. Officieusement, à la question « que faites-vous dans le vie ? », Genin répond : « Je suis le désespoir de mes parents. »
Abattoirs, castagne et « 38 tonnes »
D’emblée, il tutoie. C’est sa façon d’adopter, d’apprivoiser, d’approcher son interlocuteur. Il est direct. Sans manière. Brut de fonderie, diraient certains. A l’image des hommes que Genin a côtoyé ado, entre 13 et 19 ans, dans les abattoirs où il travaillait. D’abord dans les Vosges où il est né, puis en Alsace. « Très tôt, j’ai dû me trouver un job », se souvient le troisième enfant d’une fratrie de huit. Les abattoirs lui donnent argent, gîte et couvert. Il bosse là-bas, il vit là-bas. L’odeur de la viande et du sang ne le quitte jamais. Dehors ? « Personne ne voulait me parler. J’étais un enfant sauvage. Donc, violent… » La castagne, il connaît. Il sait manier la batte et affiche quinze ans de taekwondo au compteur. Faut pas le chercher… Un soir de 1979, il n’en peut plus des abattoirs. Il a 19 ans. Il est trois heures du matin. Il prend la route - nationale -, sans bagage ni argent, fait du stop, grimpe dans un « 38 tonnes ». Le chauffeur lui demande : « Où allez-vous ? » « Comme vous. » Au bout de la nuit, l’issue du voyage sera Paris.
La fête, les filles, la flambe et Miles Davis
« Le routier m’a débarqué gare de l’Est. J’ai vécu dans la rue trois jours, le temps de me trouver un petit job de barman, place du Châtelet. » Son premier souvenir de la capitale ? « La découverte du jazz au sous-sol du bar où je travaillais. Des Noirs qui jouaient de la musique : je n’avais jamais vu ça. » Ses boulots dans les bistrots lui apprennent tout : la fête, les filles, les excès, la flambe, mais aussi Hesse, Zweig, Yourcenar et Miles Davis. La danse ? « J’étais tous les soirs sur la piste de La Coupole. » Pied de nez au passé. Liberté enfin touchée. Pour la gagner, il va se lancer en solo dans un premier resto à la façade rose fluo. En 1986, il s’installe rue de Tournon. En cuisine, il ne sait rien faire. Il improvise et ça plaît : aux Parisiens comme à la presse. Mais Genin a la bougeotte. Quatre ans plus tard, il revend son affaire, voyage, s’associe à son retour dans un autre resto : sauf que Genin est un solitaire. Les compromis, il n’aime pas. Et puis il veut « faire du chocolat ». En 1992, il plaque tout et postule à La Maison du Chocolat, où Robert Linxe lui demande de développer son département pâtisserie. Genin relève le défi et met au point éclairs, cakes, tartes… Sauf qu’il veut « faire du chocolat ». Comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, en 1996, il ouvre son propre laboratoire : un espace de 23 m2 rue Saint-Charles, où il produit 40 tonnes de chocolat par an pour les palaces et les tables étoilées. Dans l’aventure, il embarque Sophie Vidal, aujourd’hui son « second » dans sa boutique-labo de la rue de Turenne. Un duplex de 400 m2 créé en 2008, où il concocte les mélanges les plus doux, les plus fous aussi.
Virées canailles, Canard Enchaîné et vie sans ordi
Avec le temps, l’autodidacte s’est assagi. Il a ouvert une deuxième boutique rue de Varenne, sa fille sort d’HEC, ses « copains chefs » s’appellent Alain Passard et Pierre Gagnaire, il vote blanc et ne s’attarde plus dans les « virées canailles ». Mais un rebelle sans séquelles, ça n’existe pas. En sortant de chez Elmer, Genin confie : « Je fume, je bois, je ne lis que Le Canard Enchaîné, je vis sans ordinateur, sans adresse mail et mon portable, ce n’est que pour les urgences. »