J’ai pris rendez-vous avec elle via Facebook. Sans la connaître. Sans l’avoir jamais croisée. Ni dans un café. Ni dans la rue. Dans mon message, je lui proposais une interview. L’angle : "qui êtes-vous Marie Céhère ?" Ça lui a plu. J’étais dans un TGV lorsque nous avons calé date et lieu de la rencontre. "Mercredi 15h au Flore". "Au premier étage, ce sera plus tranquille". "Ok". C’est donc dans le café du boulevard Saint-Germain que nous nous sommes retrouvées. Je l’ai reconnue à ses longs cheveux bruns, sa frange, son regard bleu assorti à sa chemise en jeans. Une gamine ? Plus tout à fait, à 23 ans. "Quand j’était petite, je voulais être danseuse étoile", dit-elle. Normal : elle a enfilé ses premiers chaussons à l’âge de 3 ans. Mais, dix ans plus tard, une vilaine entorse met fin à ce rêve de gosse.
Elle excelle en philo
"Après, j’ai voulu être astrophysicien, médecin légiste… mais je n’étais pas bonne en maths". En revanche, en philo, elle excelle. Ses copies flirtent avec les 18/20. Son prof la repère. La guide. La conseille. Elle intègre une hypokhâgne au prestigieux lycée du Parc à Lyon. Puis, une khâgne, qu’elle repique. Normale Sup’ ? Elle se présente au concours. Mais le rate. Elle file en fac et s’inscrit en philo. En Master 1, elle planche sur Heidegger, puis plaque tout "à cause d’un grave problème de santé". Re-Master 1 l’année suivante, "mais j’évite Heidegger". Elle lui préfère la sophistique et L’anti-nature de Clément Rosset. "En fouinant sur cet auteur, je suis tombée sur une vidéo postée par Roland Jaccard sur Facebook". Fascinée, elle amorce une correspondance virtuelle avec l’essayiste. Il joue le jeu. C’est le début d’une leçon de séduction qui va durer deux mois avant que l’étudiante ne prenne le TGV pour Paris. Jaccard a le triple de son âge, mais ils ne vont plus se quitter. Epoque formidable.
"Je suis partie de Lyon avec un sac, une culotte et une brosse à dents"
Le duo signe un bouquin en commun, intitulé Une liaison dangereuse. Osé. Gonflé. Mais les deux complices se moquent des convenances. Elle passe pour une Lolita et même un sex-symbol dans une librairie libertine de Lausanne : elle en sourit. Je lui avoue que je l’ai moi-même prise, au départ, pour un mix entre Béatrice Dalle et Ovidie, avec un soupçon d’Alizée sous l’influence de Mylène Farmer : elle se marre. Il y a beaucoup de légèreté chez cette fille. Du recul aussi. De la maturité. "Je suis partie de Lyon du jour au lendemain, avec un sac, une culotte et une brosse à dents, raconte-t-elle. Dans le TGV, j’avais peur que quelque chose ne vienne in extremis compromettre ma décision". Son choix de tout quitter : ses parents, sa soeur, ses amis et la fac, où elle n’a pas validé son Master. "Je le ferai plus tard". Sur le quai de la gare de Lyon, à Paris, personne pour l’attendre. "Mais j’avais le code et la clé de chez Roland". C’était il y a un an.
Elle parle de livres au FN et rend ses chroniques "à un communiste"
Depuis, elle écrit. Pour Causeur. Pour les besoins d’un roman, actuellement en circulation chez plusieurs éditeurs. Quant à sa participation à la cellule culture du Front National, elle voit cela comme "une expérience". "J’apporte une expertise sur l’univers de l’édition. J’y vais pour parler de livres", poursuit celle qui ne vote que "de temps en temps" et rend ses chroniques "à un communiste". Elle s’amuse de ceux qui veillent à lisser leur image à tout prix. Le consensus l’ennuie. Un parti pris qui l’isole : elle parle de ses amis lyonnais à l’imparfait. Depuis sa fugue, ses vidéos un brin sulfureuses sur le Net, sa prise de parole au sein d’un parti politique inattendu pour une intello, ils lui ont tous tourné le dos. "Ils n’ont pas compris pourquoi je m’exposais comme ça". Alors elle a "adopté" les amis de Jaccard. "C’est dans la différence que j’ai trouvé des gens qui me ressemblent".