« Son approche de la cuisine est unique. Il ne ressemble à aucun autre chef ». C’est Brieuc, 22 ans, qui parle. Etudiant en Master « Valorisation économique de la culture », parcours « Gastronomie, vin et tourisme », à l’université d’Angers, il multiplie les qualificatifs lorsqu’il évoque le travail de Pierre Gagnaire. « Il est à part », dit-il encore. « A part » tout en restant une référence. Surtout pour les jeunes. Sans doute par son esprit d’indépendance. « Je suis un peu trop libre. Les autres se plient un peu plus que moi », reconnaît Gagnaire, adepte du « Ni Dieu ni maître ». Son mode de fonctionnement, lui aussi, plaît aux moins de 25 ans : « je suis locataire. Je n’ai rien à vendre. Dans mes restaurants, je suis comme un directeur artistique ». Un parti pris qui traduit une certaine idée de la légèreté, de la spontanéité, tout en créant une pression maximum : « tout tient sur mon investissement personnel ». En temps essentiellement. Car Gagnaire s’éloigne peu de ses fourneaux. Par choix. Par passion. Par obligation. « Le travail m’a sauvé de tout », confie-t-il. Une allusion notamment à la faillite de son premier restaurant à Saint-Etienne, pourtant auréolé de trois étoiles au Michelin. Mais quand il perd, il rejoue. Tout de suite.
« Je préfère transmettre une attitude que des recettes »
Au milieu des années 1990, Gagnaire quitte donc la Loire, dont il est originaire, pour s’installer à Paris, rue Balzac. Un vrai défi. Mais sa ténacité va le propulser à nouveau sur la piste aux étoiles. Aujourd’hui, son nom s’affiche dans une dizaine d’adresses de Londres à Berlin, de Las Vegas à Tokyo. « Je suis un instinctif. C’est ma force et ma faiblesse. Ce que je fais au quotidien me bouffe ». D’où sa facilité à écarter le trop-plein de sollicitations. « Quand je réponds à des interviews ou que je pose pour des photographes, ce jour-là je ne fais que survoler la cuisine ». Gagnaire perçoit son métier comme « un moyen de communication », « un langage », « une thérapie ». « Je connais le prénom de tous ceux qui travaillent avec moi. Je vis avec eux, car ma place est avec eux. Je suis dans la mêlée, dans l’histoire, avec les autres ». Ça aussi, ça séduit la jeunesse. En particulier celle qui se projette avec une toque sur la tête. « Je ne suis pas obsédé par mon image, poursuit Gagnaire. L’important, pour moi, c’est l’exemplarité. Comme dans le sport. Je préfère transmettre une attitude que des recettes ». Motard, amateur d’art contemporain, fan de foot –il est fidèle à l’ASSE : époque formid’-, il fricote aussi avec le chimiste Hervé This, inventeur –avec Nicholas Kurti- de la cuisine moléculaire. « Je ne comprends pas toujours ce qu’il dit, mais j’ai la chance d’avoir sa confiance », explique Gagnaire. Une autre façon de prendre la tangente, s’écarter d’un chemin tout tracé, pour mieux « aller au fond du meilleur que l’on a en soi ».