« Cinq ans en internat, ça fait mûrir plus vite. » Surtout quand on est encore au collège. Emmanuel Sauvage se souvient de l’époque où il a quitté Châteauroux et sa famille, pour intégrer le lycée hôtelier de Blois. « J’avais 40 heures de cours par semaine. J’étais nul en cuisine, mais j’ai beaucoup appris, car les profs venaient de grandes maisons. Un de mes chefs avait même travaillé sur… le France. » Il parle aussi de sa première carte de crédit à 15 ans et des 4 heures de train pour rentrer chez ses parents : « J’ai attendu des tas de correspondances, assis sur mon sac, dans la gare des Aubrais. »
Carte blanche, marge de manœuvre et audace
Il a 17 ans quand il fait son premier stage à Paris. « J’étais content », dit-il. La capitale ne lui a pas fait peur. « Les provinciaux s’intègrent plus facilement dans les équipes. C’est d’ailleurs toujours vrai aujourd’hui. » Ensuite, l’ascension est rapide. « Parce que je suis fidèle », confie-t-il en évoquant son passage au sein des Hôtels de Paris à l’orée des années 2000. « Le groupe était encore jeune. Il fallait être réactif, savoir se débrouiller. On m’a donné carte blanche. » Pour lui, c’est une chance. Plus il a de marge de manœuvre, plus il ose. Pas si fréquent dans un univers aussi codifié, encadré, hiérarchisé que l’hôtellerie. Et son audace paie : à 25 ans, il obtient la direction du Marceau Bastille, un 4 étoiles proche de la gare de Lyon. Là, il se fait vite repérer par le propriétaire, qui possède aussi le Burgundy, alors en chantier rue Duphot. Les travaux ne sont pas encore terminés dans ce futur 5 étoiles lorsqu’Emmanuel Sauvage en récupère la direction en 2009. Il passe alors de 25 salariés à manager, à une équipe d’une centaine de personnes, avec une activité de restauration en plus. Il ne panique pas. Au contraire : « Un hôtel sans restaurant, on s’ennuie. »
Bretelles, soirée cabaret et Copacabana Palace
Entre double « je » et jeu de rôles, Emmanuel Sauvage aime surprendre. La preuve : toujours tiré à quatre épingles, il peut exhiber une paire de bretelles colorées en soirée. Bien campé dans la peau du « boss », il n’hésite pas, non plus, à desservir une table à l’heure du rush. Car il a besoin d’action. Avec lui, il faut que ça bouge. Normal : un hôtel, c’est la vie. Quant au luxe, il le veut « décalé et pas forcément clinquant ». Un parti pris qui va séduire l’investisseur Pierre Bastid. En 2014, il embarque Emmanuel Sauvage dans l’aventure du groupe Evok Hôtels Collection, dont il lui confie la direction générale. L’histoire démarre avec des chalets à Courchevel et le rachat du Restaurant du Palais Royal. Puis c’est l’ouverture du Nolinski, avenue de l’Opéra, en 2016. Ce 5 étoiles de 54 chambres et suites cumule brasserie, bar, spa plongé dans l’obscurité et couloir de nage de 20 mètres. La patte du « patron » ? Une soirée cabaret une fois par mois, des vernissages, des expos… « Je ne veux pas faire comme les autres. » Habitué du Copacabana Palace de Rio, il reconnaît toutefois s’inspirer de ce qu’il voit à l’étranger et fonctionner « comme une marque de luxe ». Pour lui, l’hôtel idéal, « c’est celui où l’on se sent comme à la maison, où il y a de l’humain, un bon emplacement dans la ville et de l’espace dans les chambres ». A l’instar des trois ouvertures qu’il s’apprête à mener à Paris : l’hôtel Brach au printemps 2018, issu de la métamorphose d’un immeuble de tri postal par Philippe Starck, puis, en 2019, un hôtel rue du Temple et une résidence d’appartements de luxe, place des Vosges. Le gamin de Châteauroux a fait du chemin depuis les années 1980. Aujourd’hui, BFM le réclame pour une interview via Messenger. Mais celui qui se dit « DG d’un petit groupe d’hôtels » n’a pas la grosse tête pour autant. Sinon il aurait effacé de sa mémoire le quai de la gare des Aubrais.